"Lire,c 'est aller à la rencontre d'une chose qui va exister"

Italo Calvino,Si par une nuit d'hiver,un voyageur.

Résumé de "Rester en vie "de Matt Haig

A 24 ans, souffrant d'anxiété et de dépression, au cours d'un séjour en Espagne, Matt Haig s'est retrouvé au bord d'une falaise, les pieds à moitié dans le vide, sur le point de se précipiter... Rester en vie, cela paraît si difficile à celles et ceux qui sont au fond de l'abîme, qui ne voient poindre aucune lueur. Ce livre vif et sensible raconte les batailles que l'auteur a menées pour comprendre ce qui lui arrivait, pour le partager aux autres (pas toujours compréhensifs), et se mettre sur le chemin de la guérison. En cinq chapitres - Tomber, Atterrir, Se relever, Vivre, Etre -, l'auteur raconte avec sincérité comment il a progressivement vaincu sa maladie et réappris à vivre. Car les raisons de rester en vie sont nombreuses, et sont ici détaillées avec humour et conviction. Ouvrir ce livre, c'est entamer une exploration joyeuse des façons d'exister, d'aimer mieux, de se sentir plus vivant.

Couverture de Rester en vie

La vie avec Lacan, Catherine Millot

 

La vie avec Lacan, Catherine Millot

« On était au mois d’août, mais la chaleur était légère et la ville désertée des voitures était d’un calme divin. Lacan y semblait comme chez lui, il en connaissait tous les musées, toutes les églises, toutes les fontaines… La beauté des lieux m’enchantait, j’aimais le bruit des fontaines et celui des pas dans les rues désertes la nuit. J’étais tombée amoureuse de Rome et cet amour dura longtemps ».

Ce petit livre est une phantasia, une apparition, celle du psychanalyste dans la vie de celle qui à son tour va le devenir. Une fantaisie, la vie légère comme la chaleur de Rome en cet été 72, la liberté libre qui se livre en Italie, à Rome, à la Villa Médicis, sur la piazza Navona, dans la basilique Saint-Clément-du-Latran, à Venise devant les Carpaccio de l’église San Giorgio degli Schiavoni, à Paris, à Barcelone, pas à pas, la mémoire de l’écrivain dessine cette carte amoureuse et aventureuse d’un été qui n’allait jamais finir. Ce petit livre nous livre – livre à lire et à vivre – à chaque page la fantaisie d’une époque – on sourit en pensant que certains fâcheux y voient là les prémices de ce qu’ils nomment le désastre actuel –, qui allait si bien à celle du psychanalyste. Lacan sur scène, ses séminaires et conférences, qui parlait aux mursLa théâtralisation faisait partie de l’art oratoire de Lacan. La colère mimée, la rage ostentatoire en étaient les traits récurrents –, Lacan silencieux, à la concentration exceptionnelle, Lacan le bélier que rien n’arrête, et Lacan immobile. Lacan des villes et Lacan des chants.

« A partir de cette année 73-74, j’accompagnais Lacan de plus en plus souvent à Guitrancourt, et bientôt tous les week-ends… C’est là que Lacan travaillait à son bureau, face à la grande baie vitrée qui donnait sur le jardin. A droite de celle-ci et lui faisant écho, était suspendu un Monet, un paysage de Giverny où les nymphéas étaient comme noyés sous une cascade de feuillages ».

Ce petit livre ne révèle rien, il met en lumière – Monet, Courbet, Renoir – les passions de l’homme au Punch Culebras, ce petit cigare tortillé et baroque, pour les peintres, pour certains tableaux, qu’il montrait ou dissimulait, l’Origine du Monde qu’il possédait se prêtait ainsi au jeu. La vie avec Lacan est une cascade de sensations, de visions, de rencontres, d’écrits, d’éclats, d’écarts, une aventure partagée – ces années éclataient en mille fleurs d’actes et de pensées –, avec d’autres témoins qui en goûtaient la fantaisie, et souvent ne s’en privaient pas : Jacqueline Risset, François Wahl, Philippe Sollers, Jean-Jacques Schuhl, Jacques-Alain Miller, et d’autres encore, comme le plus chinois des français : François Cheng. Catherine Millot est là, elle voit ce qu’elle écrit, elle écrit ce qu’elle entend, elle vit l’instant, l’aventure ne cesse de l’étourdir, enchantement léger de l’écrivain en puissance, et frissons de la psychanalyste en devenir.

« Aujourd’hui, j’ai l’âge que Lacan avait quand je l’ai connu. Est-ce ce qui m’a décidée à livrer ses souvenirs ? Comme un rendez-vous à honorer, une manière de le retrouver. Et puis j’arrive à l’âge où l’on se demande combien d’huile reste encore dans la lampe, et où tout vous rappelle qu’il faut travailler tant qu’on a la lumière ».

Ce petit livre est un rendez-vous, jamais manqué, avec des instants de bonheur, où se nouent des histoires qui se croisent comme des nœuds borroméens, ces nœuds qui vont prendre une réelleimportance dans la pensée active de Lacan. Il les fabrique avec des « bouts de ficelle », comme des bouts de réel – qu’il coupe et raboute, et au fil du temps… les chaînes et les nœuds se faisaient toujours plus envahissants, c’est un peu comme s’il cherchait une issue à ce qui le taraudait dans la psychanalyse du côté de ce réel qu’en venaient à incarner les nœuds – ce réel qui ne cesse de s’inviter dans ce petit livre, de s’écrire et donc de se vivre, et c’est toute la force et la justesse de La vie avec Lacan, un petit livre qui tient du récit, du roman, et de la phantasia : le plaisir et le temps d’écrire et de l’écrire.

 

Philippe Chauché

 

 

 

Arrête avec tes mensonges

 

 

Barbezieux, 1984. Le lycée charentais, les adolescents en jean ajusté, la terminale C et, l'année prochaine, l'espoir de poursuivre des études à Bordeaux pour échapper à cette ville « vouée à disparaître ». Philippe a 17 ans et ne se doute pas encore qu'il deviendra écrivain. En revanche, il sait depuis l'âge de 11 ans qu'il préfère les garçons. Cet hiver-là, il tombe amoureux de Thomas. Une passion réciproque, un amour impossible mais inoubliable.

Arrête avec tes mensonges pourrait se contenter de raconter cette histoire longtemps gardée secrète. Une fiction de plus, pour cet auteur prolifique qui a écrit souvent « sur le manque. Sur la privation insupportable de l'autre... ». Mais cette fois, Besson va au-delà. Il brosse le tableau d'une époque qui vient de découvrir le sida, d'une génération qui perd son insouciance en comptant ses morts. Il décrit une province chabrolienne où tout se sait, s'entend, se voit. Et il ne se donne pas le beau rôle, lui, le fils de l'instituteur, brillant élève qui partira bientôt, laissant derrière lui des mensonges, une vie froide et silencieuse, et son amoureux, fils d'agriculteur, voué à reprendre la ferme familiale. Replongeant dans sa jeunesse, l'écrivain en profite aussi pour ouvrir sa boîte à outils, et c'est là peut-être l'aspect le plus intéressant de son livre : cette façon de traquer les thèmes récurrents de son oeuvre, de décrire les origines de l'inspiration, d'être à la fois le sujet et l'objet du roman, sans jamais se départir d'une mélancolie aussi tenace que maîtrisée. — Christine Ferniot

 

 

 

Danser au bord de l’abîme Grégoire Delacourt JCLattès

Une brasserie lilloise, un midi. Un homme, une femme. Un regard échangé. Une brûlure, dans tout le corps. Ils sont envoûtés, électrisés. Elle, Emma, femme mariée et mère comblée. Lui, Alexandre, homme marié et journaliste épanoui. Emma et sa mélancolie. Alexandre et ses lèvres charnues. Dans cette brasserie, chaque midi, ils se retrouvent, se regardent, se cherchent, se frôlent, se désirent, hésitent. Ils vont se fondre, se perdre l’un en l’autre. Tout quitter. Tout risquer. Ensemble.

J’ai découvert Grégoire Delacourt avec son somptueux dernier roman, Danser au bord de l’abîme, une merveille de tendresse et de poésie. Dans ce récit sensible, le lecteur découvre une femme à la dérive. Une femme qui ose écouter son désir. Un femme qui aspire à sortir du cadre de sa vie et à profiter de l’instant présent, pleinement, intensément. Une femme qui espère se redéfinir, dans les bras d’un homme. Grégoire Delacourt se glisse dans la peau d’Emma et lui prête sa voix pour pousser un cri du coeur, un cri du corps, un cri de l’âme. Il ne porte pas de jugement sur son héroïne, il la comprend et la respecte profondément, malgré ses erreurs, malgré ses égarements. Malgré son égoïsme et son inconséquence.

« Je me souviens de cet enseignement de ma mère : le désir vient avec la connaissance de l’autre, et cette connaissance, Emmanuelle, mène à l’amour. »

Danser au bord de l’abîme raconte l’amour, raconte l’espoir. Raconte la vie, raconte la mort. Raconte le remord et le pardon. Danser au bord de l’abîme nous dit qu’une vie n’est pas linéaire. Qu’elle est parsemée d’aspérités. Qu’elle est composée de voies alternatives, que l’on choisit d’emprunter ou non. Grégoire Delacourt explore ces circonvolutions avec finesse et bienveillance. Et il nous emmène là où l’on ne s’y attend pas. A l’instar d’Emma, il nous surprend en empruntant des voies inattendues.

Le matériau de ce récit, c’est l’humain. Les sentiments, les émotions, les envies. La générosité et le partage. Le chagrin et la peur. Le matériau de ce récit, ce sont toutes ces petites rencontres, desquelles naissent beaucoup de tendresse et de bonté.

Les mots de Grégoire Delacourt sonnent juste. Ses mots vibrent, résonnent. Légers et forts, doux et piquants, ils se gravent dans la mémoire. Danser au bord de l’abîme est un roman qui vous élève, vous grandit.

« Le désir ne tient pas toute une vie, m’avait-elle dit.
L’amour non plus, lui avais-je répondu. Moi, je crois au premier regard, maman. Je crois à la première impression. Je crois au langage de la chair. Au langage des yeux. Au vertige. À la foudre.
– Ce à quoi tu crois, ma petite fille, cela aboutit au chagrin. »

 
 
 
 
 

 
 

 
L'histoire des "derniers jours de Stefan Zweig" débute le 27 août 1941, le jour où Zweig et son épouse mettent le pied à Rio de Janeiro, débarquant du bateau "l'Uruguay", depuis New York. 
Le roman s'achève le dimanche 22 février 1942, à l'heure où les deux époux avalent, chacun, le contenu d'une fiole de Véronal pour mettre fin à leurs jours. Le livre raconte 6 mois d'une vie de traqués. Ce site évoquera les instants qui précèdent le débarquement à Rio. De la gloire à l'exil.
 
 

 
 
 
 
 





 


 
 
 
 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Une femme, quand elle aime, se fait accroire que son dernier amour en date est confondu avec son amour ultime ; elle appelle « homme de sa vie » un être humain qu’elle tentera, à force de mille contorsions, de mille arrangements, de mille dénis, d’inscrire dans une figure idéale. Tandis qu’un homme, quand il aime, aime toujours déjà ailleurs ; il appelle « femme de sa vie » la prochaine femme qu’il rencontrera – il vaque de brouillons en brouillons. La définitive, pour lui, est incessamment la suivante.

Il est toujours bon d’écrire aux femmes que l’on aime. Ne serait-ce que pour les avertir, une fois la rupture consommée, pourquoi elles font bien de fuir ceux qui leur ont menti, les ont bernées, les ont parfois trompées pendant si longtemps. Il en va de leur départ comme de la mer, lorsque celle-ci se retire : on s’aperçoit de ce qui se cachait sous les flots. Des bidons d’essence, de vieux pneus, des bestioles décharnées.

Pourquoi ne pas avouer, une bonne fois pour toutes, que les hommes sont des tricheurs, des hypocrites, des manipulateurs, des cyniques, des lâches et des faux-monnayeurs, bref : des salauds ?
Dès lors qu’ils sont aimés, cela leur donne des ailes pour faire valoir cet amour dans d’autres bras, contre d’autres poitrines, entre d’autres cuisses. Aimer un homme, c’est fabriquer un infidèle. L’amour qu’il reçoit, il le transmute sans répit en assurance divine, en immunité frimeuse, en fière arrogance. En garantie d’être aimé ailleurs.

Je sens doucement poindre un horizon plus apaisé, plus lumineux, où l’amour serait un peu moins trompé, un peu moins fugitif, un peu moins coupable. Cela s’appelle s’avancer dans le temps. Par fidélité avec celui que je fus, que je fus longtemps, que j’aimerais ne plus être, ne plus avoir à être, voici la lettre (imaginaire ?) d’un jeune homme de 27 ans à une femme qu’il crut aimer, quand bien sûr il n’aimait que lui- même.

 

 

Yann Moix est écrivain. Il est né en 1968. Il a obtenu le prix Renaudot en 2013 pour Naissance.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Mac et son contretemps
Roman

 

Mac et son contretemps

Enrique Vila-Matas. Traduit de l'espagnol par André Gabastou.

Un entrepreneur en faillite décide de réécrire le roman d'un rival. S'y mêle une interrogation mélancolique sur le processus de création littéraire.

A la fameuse affirmation : « La bêtise n'est pas mon fort », soufflée par Paul Valéry à son alter ego Monsieur Teste, Mac, le narrateur du nouveau roman d'Enrique Vila-Matas, préfère ce viatique : « La répétition est mon dada. Ou bien : J'aime répéter mais en modifiant. [...] Je suis un modificateur inépuisable. Je vois, je lis, j'écoute, tout me semble ­susceptible d'être transformé. Je transforme. Je n'arrête pas de transformer. » C'est dans les pages du journal secret qu'il vient de commencer à tenir que Mac ainsi itère et altère. Ne se lassant pas de revenir à Beckett et Pétrone, Kierkegaard et Hemingway, Rimbaud et mille autres.

Ancien entrepreneur prospère, réduit à l'inactivité par la faillite de sa société, Mac dispose désormais de tout son temps pour se replonger dans ses écrivains de chevet. Et pour enfin se lancer dans l'écriture. En pur débutant, « sans plan préalable, mais non sans savoir qu'en littérature on ne commence pas par avoir une chose à écrire sur laquelle on écrit ensuite, mais que c'est le processus de l'écriture proprement dit qui permet à l'auteur de découvrir ce qu'il veut dire ». Un écrivain ­français a résumé cela : « Ecrire, c'est ­essayer de savoir ce qu'on écrirait si on écrivait », phrase saisissante que Mac cite dans son journal en l'attribuant à Nathalie Sarraute — ce qui est une erreur et pourrait permettre de déduire que ce personnage n'est sûrement pas un double de Vila-Matas, lequel naguère et ailleurs a déjà repris ces mots, sans bien entendu commettre la même méprise, mais au fond allez savoir si bévue il y a vraiment, ou bien déjà transformation, modification. Quoi qu'il en soit, voici bientôt que l'élan de Mac se cristallise sur un projet : réécrire et « améliorer en secret » un roman signé par un écrivain célèbre qui vit dans son quartier de Barcelone, le dénommé Sánchez, individu arrogant, qui plus est amant de son ex-femme Carmen — et c'est peu de dire que ce fait rend Mac jaloux. Le roman s'intitule Walter et son contretemps, et se présente comme les Mémoires d'un ventriloque « qui lutte contre le grave contretemps que représente pour sa profession la possession d'une seule voix, la fameuse voix propre qu'aspirent tant à trouver les écrivains et qui pour lui, pour des raisons évidentes, signifie un problème »...

Qu'ils s'offrent à lire comme des romans ou comme des récits, toujours les livres insolites et brillants d'Enrique Vila-Matas jouent à entremêler le réel et la fiction, la narration et la ­réflexion sur l'écriture. « Je suis fait de tous les autres écrivains, en conver­sation avec eux » (1,) dit ce lecteur insatiable, virtuose de la métafiction, dont les ouvrages sont truffés d'allusions et de citations, affichées ou dissimulées, fidèles ou pastichées.

Le jeu n'est pas gratuit, il est au con­traire spéculatif et grave, il interroge le geste littéraire et son origine, la dynamique des formes, leur potentiel à continuer d'approcher l'indicible de l'expérience humaine et à garder trace. Au coeur de l'espiègle et fantasque Mac et son contretemps, de la méditation de son personnage sur la répétition, « la reprise et le ressouvenir » (Kierkegaard), il est ainsi une mélancolie secrète et très proustienne, qui ne se révèle pleinement qu'aux ultimes pages — au terme de l'odyssée de Mac, où la littérature est mise au défi de conjurer le temps qui passe, de dire « la vie pure gardée à l'état pur ». — Nathalie Crom

 

(1) In Vertige de la lenteur, recueil d'entretiens parus dans la revue La Femelle du requin (éd. Le Tripode).

 

 

 

"Mais quand d'un passé ancien,rien ne subsiste,après la mort des êtres,après la destruction des choses,seules,plus frêles mais plus vivaces,plus immatérielles,plus persistantes,plus fidèles,l'odeur et la saveur restent encore longtemps,comme les âmes,à se rappeler,à attendre,à espérer,sur la ruine de tout le reste,à porter sans fléchir,sur leur goutelette presque impalpable,l'édifice immense du souvenir."   Marcel Proust